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Ragnar Axelsson, les héros de l’Arctique

Ragnar Axelsson photographie inlassablement le quotidien des populations au Groenland, dans les Îles Féroé ou en Sibérie depuis plus de trente ans. En tant qu’Islandais, le photographe vit de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique au quotidien.

Tête d’affiche de la dernière édition du Festival de la Gacilly, dont la thématique, « Plein nord » fait écho à son œuvre, il publie cette année un livre majeur, dans lequel il rend hommage aux chiens. Sans eux, l’être humain ne pourrait survivre dans le blizzard.

De véritables héros, prêts à sauver la peau de leurs compagnons bipèdes. C’est aussi un témoignage pour la postérité, qui renseigne sur le mode de vie, des populations autochtones, en proie à de profondes évolutions.

« Plus je contemplais les bêtes, plus je décelais une part humaine en elles. Je les ai donc photographiées en essayant de me mettre à leur place »

« Lorsque mon vieil ami (depuis disparu) Ole Brönlund a commencé à me raconter des histoires sur sa vie dans le grand Nord, il pleurait en évoquant son chien. Avec ce livre, j’ai donc voulu lui rendre hommage »

«  Le mode de vie de ces populations est en train de changer. Je souhaite documenter cela, en retournant, parcourant, une nouvelle fois, toutes les zones de l’Arctique »

Comment vous est venu l’idée de réaliser ce livre sur les meilleurs amis des Inuits ?

À force de photographier les chasseurs, je me suis rendu compte que les chiens faisaient pleinement partie du décor. Ils ne font qu’un avec la banquise. Ils sont si intelligents… Ils deviennent nos amis. Une fois que nous avons achevé une tâche, ce sont eux qui nous ramènent à bon port.

Plus je contemplais les bêtes, plus je décelais une part humaine en elles. Je les ai donc photographiées en essayant de me mettre à leur place, d’imaginer comment j’appréhenderais le monde, si j’étais moi-même un chien.

Durant la pandémie, je me suis d’ailleurs mis à écrire, pour m’amuser, un livre pour enfant, dans lequel j’incarne un chien…Ces chiens ont toujours été là et ont permis aux populations locales de survivre dans ces territoires extrêmes…

Ces animaux sont extrêmement résistants. Ils existent depuis plus de 4000 ans, probablement plus ! Sans eux, il n’y aurait pas d’Inuits.

Leurs histoires sont intimement liées. Lorsque mon vieil ami (depuis disparu) Ole Brönlund a commencé à me raconter des histoires sur sa vie dans le grand Nord, il pleurait en évoquant son chien. Je l’ai persuadé de m’en dire un maximum, afin que les gens comprennent et respectent sa manière de vivre. Il est décédé peu de temps après et a emporté un tas d’histoires avec lui dans sa tombe.

Avec ce livre, j’ai donc voulu lui rendre hommage. C’est aussi une forme de remerciement, de m’avoir permis de le photographier, avec d’autres chasseurs, dans des conditions terribles. Le froid glacial, le blizzard, les tempêtes…

Vous expliquez d’ailleurs, à la fin du livre, combien il est difficile de nouer contact avec les populations locales. Les langues ne se délient pas facilement !

Tous les chasseurs ont des histoires à raconter sur leurs compagnons de route, et sur les touchantes affinités qu’ils parviennent à entretenir avec eux, pour survivre ensemble, dans des environnements aussi hostiles.

Mais il est très difficile de gagner la confiance des populations locales. Il faut multiplier les séjours sur place. Ils n’ont aucun doute sur le bien-fondé de leur mode de vie.

En revanche, ils craignent que certains us et coutumes ne soient pas bien perçus, à d’autres endroits du monde. Notamment le simple fait de chasser, pour nourrir leur famille, car aucune autre alternative ne s’offre à eux.

Pourquoi tenez-vous à photographier leur quotidien depuis toutes ces années ?

Le mode de vie de ces populations est en train de changer. Je souhaite documenter cela, en retournant, parcourant, une nouvelle fois, toutes les zones de l’Arctique, quand les conditions sanitaires le permettront.

Cela me tient à cœur, car je pense que dans un avenir proche, toute la glace de la planète sera uniquement concentrée à cet endroit du globe. Et il faut montrer qu’il y a de la vie ici. Mon but n’est pas de prêcher en faveur de quoi que ce soit, mais de montrer une réalité, afin d’éveiller les consciences et faire réfléchir les gens.

On peut douter de tout. Mais il y a désormais suffisamment de données scientifiques concordantes sur le sujet du réchauffement climatique. Et je pense que photographier son impact constitue une pièce supplémentaire d’un puzzle, au même titre que des documentaires ou des films qui traitent de ces problématiques.

Ne devient-il pas dangereux d’aller travailler sur place, au fur et à mesure que la glace fond et que la couche s’amenuise ?

Il n’y a pas si longtemps, on pouvait encore marcher sereinement dans cet environnement. Aujourd’hui, c’est devenu très dangereux. Quand on voit la banquise de loin, on ne voit qu’une nappe blanche.

On ne se rend pas compte à quel point elle est fragile, et combien la couche devient de plus en plus fine. Les fenêtres de chasse sont de plus en plus restreintes. La majorité des chasseurs ne savent pas nager : s’ils tombent dans l’eau ils ont peu de chance de s’en sortir, car il faut sortir très vite.

Au début du livre, je raconte l’histoire de Takku Takkuk, leader d’une meute, qui tira son maître hors de l’eau, alors que celui-ci s’était fait piéger par la glace. Mais les chiens subissent également le réchauffement climatique.

Il y a une dizaine d’années, on en comptait 30 000 au Groenland. Il n’y en a plus que 10 000 aujourd’hui. Nous savions que le phénomène s’accélèrerait. Mais les choses évoluent malheureusement plus vite que nous le pensions.

C’est presque le travail d’une vie, vous concernant…

Cela demande beaucoup de temps et d’abnégation. Il faut se rendre sur place. Subir des températures extrêmes. Sentir que l’on peut perdre ses pieds par le simple fait de les tremper dans l’eau. J’espère que l’on peut avoir un avant-goût, un aperçu de ce que l’on ressent, en regardant mes images.

Le cinéma, la télévision, perçoivent des subventions pour mener à bien ce genre de projet. Les scientifiques aussi. C’est beaucoup plus dur pour les photographes, surtout en Islande, où je ne perçois aucune aide. Je ne supporte pas l’échec (je joue au football et je déteste perdre). Alors, je continue coûte que coûte.

Vous citez, à la fin du livre, la photographe Mary Ellen Mark, qui vous a toujours poussé à photographier sans relâche, même quand vous avez le sentiment de tenir une bonne photo…

Parfois, j’ai le sentiment d’avoir la photo que je voulais obtenir. Même si c’est le cas, je continue à photographier, car l’image suivante peut toujours être meilleure. Lorsqu’on me demande qu’elle est la meilleure photo que j’ai prise, je réponds toujours « la prochaine » ! Je compare cela à la musique.

Paul Mc Cartney et les Beatles n’auraient jamais eu un tel parcours s’ils s’étaient reposés sur leurs lauriers dès leur premier succès. J’utilise un Leica argentique, car il tolère très bien les températures extrêmes. La plupart de mes images sont prises au grand-angle.

J’affectionne les focales comprises entre 21, 28 et 35 mm, voire 50 mm. J’utilise peu de longues focales, parfois un 90 mm. Je préfère rester proche de mon sujet, lui faire savoir que je suis là, me faire accepter. À mon avis, les photojournalistes sont les meilleurs journalistes. Ils doivent aller sur le terrain, au milieu des tirs, en couvrant un conflit.

De grands photographes, tels James Nachtwey ou Don McCullin laissent un héritage visuel au monde. Leurs images les plus iconiques sont comme des tableaux. Ils survivront au temps qui passe, comme la photo de la petite fille brûlée par du Napalm, prise par Nick Ut pendant la guerre du Vietnam.

Les réseaux sociaux sont comme les journaux quotidiens. Le lendemain, on passe à autre chose. Je préfère pour ma part travailler sur des livres et des expositions. J’ai eu l’honneur d’être exposé cet été au festival de la Gacilly en Bretagne.

Je suis actuellement en train de préparer un grand événement dans une galerie à Munich, après Salgado et Brandt. Mes livres sont tous épuisés. Ce qui me permet de financer mes projets à venir. Je vais reprendre la route vers les territoires de l’Arctique, et prendre le pouls de la banquise, pour un projet de grande envergure.

Votre démarche semble aller à contre-courant de l’actualité. Comment vivez-vous la prolifération d’images sur des réseaux comme Instagram ?

Bien sûr, tout le monde prend des photos avec son smartphone. Mais pour moi, l’acte photographique, la passion, qui anime le photographe, c’est autre chose. Mon éditeur m’a dit une fois : « Tu as un miroir dans ta main.

Tu dois montrer le monde, pas toi-même. » Quand on regarde Instagram, aujourd’hui, il est plus question de gens se mettant en scène qu’autre chose.

Ce ne sont pas des visions de la vie réelle. Je trouve cela très triste. Nous devrions montrer ce qu’il se passe sous nos yeux, plutôt que de braquer l’objectif sur nos nombrils. Si je photographie une personne dans une pièce, celle-ci est la reine de l’image. Pas moi.

www.instagram.com/nikosaliagas

« Il faut constamment montrer ce qu’il se passe dans ces contrées. Certains petits villages vont disparaître. Le nombre de chasseurs et de chiens diminue de façon inquiétante. C’est la fin d’une certaine nostalgie. Tout se modernise à grande vitesse. Il faut témoigner de tout cela », nous avait confié le photographe islandais Ragnar Axelsson, lors d’un entretien, il y a deux ans.

Plutôt que de parcourir la savane ou la jungle, il a choisi les territoires glacés du Groenland, des Îles Féroé ou de la Sibérie, moins arpentés par les photographes, où sévit un froid extrême.

Dans cet impitoyable univers immaculé, il n’y a pas de meilleur ami pour les chasseurs groenlandais, ou les aventuriers – Ragnar peut en témoigner – que les chiens. Dès les premières pages, on s’enivre de récits épiques (en anglais).

Tel celui de Takku Takkuk, leader d’une meute, qui tira son maître hors de l’eau, alors que celui-ci s’était fait piéger par la glace, de plus en plus fine au fil des ans, et ne savait pas nager. Quand le photographe demande à un autre chasseur, Hjelmer Hammeken, ce qu’il souhaiterait le plus au monde, ce dernier répond qu’il aimerait revenir vingt-cinq ans en arrière, lorsque la banquise était suffisamment solide.

Les images noir et blanc et les anecdotes rapportées par Ragnar Axelsson sont autant de preuves concrètes du changement climatique. Il figure ainsi naturellement dans la programmation de l’édition 2021 du festival de La Gacilly, qui met le « Plein Nord » à l’honneur.

Dans ce magistral livre, « Rax » rend hommage aux chiens, héros de l’Arctique, qui ont « maintenu en vie les populations Inuits du Groenland pendant près de 4 000 ans ». Il prend à nouveau la plume en fin d’ouvrage pour faire l’éloge, à titre posthume, d’Ole Brönlund.

Un autre chasseur, qui, sur la fin de sa vie, lui a légué des histoires, oralement. Des aventures glaciales, dans lesquelles les chiens endossent le premier rôle. Axelsson, avec ce livre, presque un testament où chaque double page est un tableau, transmet cet héritage silencieux, d’un monde, d’un mode de vie condamné. De là où nous sommes, personne n’entend les chiens hurler…

Éditions Kehrer

25,2 x 34,8 cm

290 pages – 68 €

Eduardo

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