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Vincent Perez, un esthète parmi les photographes

Vincent Perez a l’élégance des très grands. Au moment d’évoquer son parcours de photographe alors qu’il a déjà exposé aux rencontres de la photographie d’Arles, à la MEP et publié un très beau premier livre sur la Russie, il nous livre un regard puissant et inspiré sur ce que peut dire la photographie.

 

                                                          Portrait Vincent Perez / Photo : Marie Marion

«  En fait je voulais devenir peintre ! J’étais déjà très attiré par le processus de création d’une image »

 

«  La photographie est vraiment dans mon ADN. C’est le seul endroit où finalement le langage m’est naturel et me correspond »

 

 

Vincent, parlez-nous de ce premier amour : la photographie ?

Il y a eu plusieurs raisons qui m’ont orienté vers la photographie. J’ai grandi en Suisse. Je n’étais pas très concerné par des études classiques, or le système éducatif de ce pays vous oriente rapidement vers l’apprentissage quand vous êtes en rupture de banc. Sans qu’il y ait une connotation péjorative. En ce qui me concerne, ça m’a ouvert de nouveaux horizons.

Dans la liste des métiers proposés à l’occasion de cette réorientation, il était mentionné la photographie. Je n’ai pas hésité car à l’époque je faisais beaucoup de dessin et j’étais très attiré par la peinture. En fait je voulais devenir peintre ! J’étais déjà très attiré par le processus de création d’une image. 

C’est donc naturellement que je me suis tourné vers cette opportunité. J’étais un garçon introverti. La photographie m’a permis de m’évader de mon monde, de partir à la découverte d’un ailleurs ou de l’autre car mon isolement me pesait. Je n’étais pas épanoui.

 

Cela a t–il fonctionné ?

Certainement puisqu’aujourd’hui je suis pleinement investi et engagé dans cette expression artistique avec la réalisation de plusieurs expositions (Rencontres d’Arles, MEP) et l’édition de mon premier livre Un voyage en Russie aux éditions Delpire. Et je pense que cette période a été déterminante dans mon parcours et ma construction en tant qu’auteur photographe. Il y a des influences, que je reconnais aujourd’hui, avec le temps.

 

Lesquelles ?

Pendant deux ans j’ai suivi les cours d’une grande école de photographie (le centre de Vevey) tout en apprenant le métier en tant qu’apprenti dans un labo spécialisé dans le portrait, et plus particulièrement la photo de passeport. Toute la journée j’étais entouré de milliers de « têtes », des êtres humains sans véritable expression distincte. Ce n’était honnêtement pas terrible. 

Je retouchais les négatifs (les portraits étaient pris à la chambre) au milieu de ces visages et de ces regards qui m’ont fortement imprégné. Je suis presque sûr que cela m’a influencé. Il faut dire que j’avais 15 ans à l’époque.

 

Et vous avez fini par vous éloigner de ce métier ?

Forcément, un moment je me suis lassé de cet environnement et je me suis tourné vers le cinéma pour faire carrière car c’était aussi un art qui m’attirait beaucoup. Je me suis aussi mis à lire et à découvrir des écrivains qui m’ont incité à aller vers autre chose, sans amertume.

 

Puis il y a ce retour fracassant avec des expositions prestigieuses successives et la sortie de votre premier livre (très réussi) Un voyage en Russie aux éditions Delpire ?

C’est vrai que j’ai rebasculé vers la photographie il y a dix ans. La photographie est vraiment dans mon ADN. C’est le seul endroit où finalement le langage m’est naturel et me correspond. Dans l’acte de photographier, j’ai su libérer ma parole, trouver un propos qui avait du sens pour moi. Ça me fait du bien et ça me procure du plaisir. Même si pour moi, dans le plaisir, il y a une multitude de sentiments qui peuvent être contradictoires comme l’angoisse, la mélancolie, le doute… J’aime le contact direct qui existe dans la photographie. Ça me semble beaucoup plus pur, plus simple que le cinéma, par exemple, qui nécessite beaucoup d’intervenants et de jeu pour faire un film.

 

Votre travail tourne beaucoup autour de l’identité et du portrait. C’est l’influence de votre formation initiale ou une vocation artistique assumée ?

Les deux, je pense. Ma formation au sein de ce labo a forcément orienté ma vision du monde. Tous ces visages et ces regards…J’aime découvrir un territoire par le biais de rencontres, aller vers l’autre et créer un lien. Ce moment si particulier et si libre me fascine et c’est ce que j’essaie de retranscrire dans ma photographie. 

J’essaie de sentir mon sujet, de partager pendant un court instant une énergie ou des ondes qui vont me permettre de faire un cliché. Le portrait c’est, je pense, être sensible à cette énergie et à cette connexion. C’est quand on se rejoint quelque part avec son modèle que la photo est bonne.

 

Vous définissez-vous comme un photographe portraitiste ?

J’ai effectivement cette sensibilité qui ressort dans mon travail et me vaut cette étiquette dans les médias mais la photographie d’architecture m’intéresse beaucoup également. Je crois qu’on attend toujours d’un auteur qu’il théorise son travail, qu’il déclame ses lignes directrices et ses intentions. Je ne suis pas à l’aise avec ça ! 

J’ai essayé bien sûr, mais je n’y arrive pas. Il faut avoir l’âme d’un homme d’affaire. C’est difficile pour moi de parler de mon travail mais le regard du public ou de professionnels attentionnés comme François Hebel ou Jean-Luc Monterosso (ce qui ne veut pas dire complaisant) m’intéresse beaucoup. 

Ces témoignages m’aident à formaliser et construire ma démarche d’auteur. Cette interaction est indispensable pour que je puisse réagir positivement à mon travail et comprendre ce que je fais pour continuer d’avancer.

 

Comment abordez-vous les sujets que vous photographiez ?

Je vais faire référence à un très grand réalisateur dans le cinéma, Darren Aronofsky (le réalisateur de Requiem for a dream, Black Swan, The Fountain). Lors d’une conversation il me confiait que quand il écrivait le script d’un film, il profitait d’une tension et d’une énergie créatives qui lui permettaient d’écrire d’un jet le scénario de son film. 

Puis, au fil du temps, il repassait dessus encore et encore jusqu’à ce qu’il sente la véritable matière de son histoire se révéler. Je me retrouve dans cette démarche et ce processus instinctif. Les choses se révèlent par elles-mêmes. Avec le temps !

 

C’est comme ça que vous avez créé Un voyage en Russie, votre premier livre ?

Oui, un petit peu. J’ai une attirance singulière pour ce pays. Avec Oliver Rolin, qui a signé les textes, on s’est posé la question de comment nous allions montrer et qu’est ce que nous voulions dire sur ce territoire immense. On a eu l’idée d’aller à la rencontre des gens, du peuple russe et de cette mélancolie slave, à la faveur de plusieurs voyages. On a donc laissé venir les choses en rencontrant la population dans toute sa diversité pour capter les sensations nées de ces pérégrinations. Et à un moment ça a donné ce livre.

 

C’est toujours le thème de l’identité qui vous « tourne autour » comme vous avez l’habitude d’avouer ?

Effectivement, je suis « en affaire » avec ça. Ces personnes que je photographie, je cherche à savoir qui ils sont, d’où ils viennent et vers où ils tendent ? Ce processus m’aide à trouver de nouvelles émotions pour photographier. J’aime la photo qui s’impose d’elle-même, pure, simple, sans ambages. Il y a une certaine forme d’intemporalité que je recherche instinctivement. Ça me parle. 

J’aime regarder les choses et j’essaie de les extraire de leur contexte pour obtenir ce Graal. J’ai un rapport jouissif à la photographie mais douloureux et je suis content quand je ressens ce pincement intérieur. Je me dis alors que la photo est bonne. 
Enfin je photographie souvent des communautés fortes. C’est un lien fort dans mon travail de photographe.

 

Ce processus est très ancré dans votre démarche artistique. J’ai lu que vous intimiez aux personnes que vous photographiées « ne montrez rien, n’exprimez rien » pour saisir cet instant ?

Oui, c’est vrai. J’affectionne ce moment de vérité quand les masques tombent. Je recherche ça. La photo idéale, c’est un « clic ». Je déteste la rafale. J’ai l’impression de faire n’importe quoi, de me « salir ». Je ne sais pas par exemple photographier au grand angle ou au téléobjectif. 

Ma focale de prédilection, c’est le 50 mm ou l’équivalent quand j’utilise le moyen format Pentax 645 que j’aime beaucoup. J’ai mes repères, tout devient naturel avec un 50 mm. Mais je n’ai rien inventé, Henri Cartier-Bresson ne jurait que par cet objectif. Je me suis approprié cette manière d’aborder la photographie.

 

Ça a du être compliqué de revenir à la photo en plein « boom » numérique ?

J’ai un dilemme à ce sujet. J’ai l’impression que la photo argentique vieillit mieux que la photo numérique. Elle traverse plus aisément le temps. Cette instantanéité me dérange, tout va plus vite. Ça enlève une part de mystère qui m’est chère. 

Mais en même temps je reconnais que ces nouvelles technologies te permettent d’avoir une réflexion immédiate sur ce que tu fais. Et puis Instagram peut-être un formidable outil relationnel. Mais je fais attention à ne pas me laisser déborder, à ne pas tomber dans une publication irrationnelle ou addictive.

 

Vous participerez au Jury du prochain Vincennes Image Festival dont le thème s’intitule Homo Sapiens 2019. Qu’est ce que cela vous inspire ?

Je suis plutôt emballé par cette expérience et évidemment le thème. Je ressens beaucoup de curiosité sur ce qui va être proposé sur ce sujet, comment il va être traité. Je me considère encore comme un amateur. Je vais donc à la rencontre de ces photographes avec beaucoup d’enthousiasme. 

Par ailleurs je présenterais certainement un travail que je viens de commencer, qui n’est pas encore abouti. Mais j’ai envie de ressentir la perception du public sur ce nouveau projet, de me tester. D’autant qu’une exposition est l’aboutissement d’un geste, d’une intention.

 

Un voyage en Russie, le premier livre de Vincent Perez aux éditions Delpire, est un magnifique ouvrage et une vraie réussite. Il révèle une photographie de l’instant où la rencontre avec le peuple russe, quelle que soit sa condition, révèle la carte d’un territoire immense et méconnu du public.

Le regard porté sur ces gens est beau et juste. Il émane une majesté singulière de cette galerie de portraits réalisés à l’Est. Bien que les conditions de vie soient difficiles et que les consciences soient bercées par un lustre ancien, on ne se lasse pas de découvrir tout au long des 208 pages de ce bel objet le visage de la Russie d’aujourd’hui.

Ces hommes et ces femmes, face à l‘objectif de Vincent, révèlent une dignité et une âme humaines qui vous transportent d’une frontière à l’autre de ce pays continent. En terminant sa lecture, transcendé, on n‘a qu’une envie : filer à notre tour vers l’Est.

Un voyage en Russie par Vincent Perez – Éditions Delpire  24,5 x 29,5 cm – 208 pages – 49 €

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Eduardo

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